"Ainsi, vous êtes du Maroc, me dit-elle, entre deux bouchées de caviar et une tranche de saumon.Ce doit être un de ces pays où l´on n´a rien à se mettre sous la dent. Ne sachant quoi répondre, je lui rappelai seulement la grande misère que j´avais pu rencontrer du South Bronx au nord de Harlem. Les boutiques éventrées, les immeubles calcinés, les innombrables ghettos sas eau ni électricité, où des populations entières s´entassent, rongées par la faim, la peur et le désespoir , les centaines de mendiants et de sans abri qui, chaque jour, sillonnent les artères de New York et investissent les stations de métro, les hordes d´enfants qui, las de jouer dans des restes de voitures abandonnées, se blottissent les uns contre les autres pour chasser le grand froid. Imperturbable, la dame parcourait du regard le magnifique buffet.Comme je ne disais plus rien, elle leva vers moi ses yeux de poisson frit et me susurra à l´oreille, comme si elle trahissait un secret : -Sachez, jeune homme, qu´il n´y à pas de pauvres à New York , il n´y à que des fainéants. Ainsi donc, j´avais oublié que nous étions dans une démocratie, où l´on pouvait choisir d´être pauvre ou riche, malade ou bien portant. Entre le saumon et la faim, la fourrure et le froid, le luxe et la misère, les pauvres ont fait leur choix. Après tout, Henry Miller à peut-être raison, "" Si un jour la merde prend de la valeur, les pauvres naîtront sans cul."