Cette étude originale porte sur la construction idéologique de la modernité sous l'angle ferroviaire. À partir de documents d'archives, souvent inédits, l'auteure montre comment la création et le développement de l'Orient- Express à bouleverser notre façon de voir le monde à la fin du xixe siècle, l'aiguillant vers des représentations qui sont encore en partie les notres aujourd'hui. En franchissant les frontières, le train à rapproché l'Europe des Français. L'auteure montre ainsi combien l'Orient-Express, singulière entreprise moderne trans-européenne, permit les premiers contacts entre Occident et Orient européens et encouragea, certes pour une minorité bourgeoise de nantis, sinon la connaissance du continent et de ses habitants du moins sa première perception et la constitution des premiers lieux communs. En outre, cette entreprise industrielle titanesque exacerba les clivages de classes, à travers une presse populiste qui ne manqua pas de stigmatiser le luxe, le lucre et l'oisiveté d'une bourgeoisie corrompue, dont l'Orient-Express aurait été l'outil des turpitudes. Et l'intérêt, essentiel, de cet ouvrage, est de montrer comment, autour de ce train, se forgent alors les représentations de la bonne société sur les femmes. À l'époque en effet s'amorce en Occident un mouvement d'émancipation, certes encore timide en France, qui permet à certaines femmes de se libérer du carcan du mariage, du père et de l'Église ; l'Orient-Express est perçu comme un instrument de cette libération, et celles qui voyagent seules comme des dévergondées. En contrepoint de l'image d'une Lilith occidentale, réellement mais encore partiellement débarrassée des hommes, se forge un autre fantasme, celui d'une femme orientale soumise, voilée, prête à réaliser tous les désirs de l'homme.
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