Un enfant de cœur

Orphelin qui possède des parents bien vivants, apatride né dans la campagne française, l´enfant grandit dans le paradoxe, le cynisme grotesque et tendre des hasards de la vie. Il en fait naître - dans la douleur, cela va sans dire - une poésie tranchante et neuve, une arme qui lui permet d´inverser le processus de destruction dont il est le témoin, et aurait pu être la victime. On peut lire cette histoire comme le premier tome d´une saga, et plonger dans son fleuve intarissable, ou comme une parabole qui nous apprend que la vie n´est jamais que ce que l´on en fait, et que le sentiment d´exil peut aussi devenir une patrie. L´acte du retour sur soi en fait partie. Il s´incarne dans l´espace à travers le voyage du père vers le Maroc, et dans le temps à travers le récit du passé dont se charge le fils pour faire fleurir sous les yeux du lecteur le spectacle d´une authentique renaissance. Certains appellent cela un miracle, d´autres l´instinct de survie, ou l´alchimie ... Car si la réalité est convoquée, elle ne tombe jamais dans l´exhibitionnisme ou le misérabilisme. Elle rebondit comme un ballon, espiègle et joueuse comme l´enfant qui ressuscite la personne du narrateur et fait de ce roman une révélation littéraire. Le souffle de Saïd Mohamed emporte tout sur son passage. D´abord, l´adhésion du lecteur qui ne saurait résister à la sincérité qui se dégage de ce livre nu, cruel, et désarmant. .. Puis, les préjugés qui consistent à ériger des frontières entre la poésie et la prose, l´autobiographie et la fiction, la tristesse et la joie, le beau et le laid ... Enfin, l´idée que l´on se fait de l´écrivain et du style maghrébin. Saïd Mohamed oppose la liberté au joug d´une appartenance arbitraire à une catégorie spécifique, qu´elle soit sociale, culturelle, ou géographique. Le cœur à toujours le dernier mot. Ici, c´est lui le plus fort. Qu´on s´incline!