J´ai vécu intensément la ruine de mes illusions. Je croyais à ce monde du contact et à son avenir qui devait être débarrassé du chancre raciste, ouvert à tous les hommes de bonne volonté. Les chapelets de bombes sur la petite Kabylie, les bruits sourds des canons de marine, la panique d´être égorgée pour un combat qui n´était pas le mien, cette atmosphère de fin du monde à Alger : tout me prouvait mes erreurs de jugement. Ce Maghreb où j´étais née, ne pouvait être le mien : je ne pouvais qu´aider ceux qui revendiquaient leur patrie , en partant, je ne désertais pas un combat perdu d´avance, je me devais d´éclairer ma patrie de naissance, la France, et mener là-bas un combat nouveau pour l´indépendance de l´Algérie. Tels étaient les sentiments éprouvés par Annie Rey-Goldzeiguer, alors jeune étudiante à Alger, au lendemain des événements de mai 1945 à Sétif et Guelma. Et qui l´ont conduit à quitter l´Algérie pour la France où elle deviendra historienne, dans la perspective de pouvoir un jour retracer l´histoire de ce drame. Plus d´un demi-siècle plus tard, elle à pu réaliser ce voeu : ce livre présente le résultat de longues années d´un travail qui n´a pu être achevé que récemment, grace à l´ouverture enfin permise des archives. On y retrouvera la recension détaillée, nourrie de nombreux témoignages et de documents d´archive inédits, de ce qui constitue une page particulièrement noire - et jusqu´alors largement occultée - de l´histoire coloniale française : la folie meurtrière déclenchée dans la seconde semaine de mai 1945 par l´armée française et les milices de colons contre la mobilisation des nationalistes Algériens du Nord-Constantinois, qui menaçait de devenir une insurrection. Une centaine d´Européens furent tués et... plus de cent fois plus d´Algériens. La grande originalité de ce livre est d´éclairer les origines de ce drame par l´histoire, méconnue et pourtant passionnante, des cinq années qui l´ont précédé en Algérie : durant la période de Vichy, puis après le débarquement américain de novembre 1942, la tension n´a cessé de monter entre le monde des colons et celui des indigènes. Et le monde du contact, formé des Européens et des Algériens qui croyaient encore à la possibilité d´une vie commune, s´est vu progressivement broyé. Jusqu´à ces journées tragiques de mai 1945, dont ils seront la première victime, et qui sont à l´origine des sept années de guerre effroyable que le peuple Algérien devra subir pour accéder à son indépendance.
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