À ce tournant du millénaire, par un retournement des mentalités lié aux drames du siècle passé, à la prise de conscience des violences commises ici et ailleurs, une partie de l´opinion des vieilles nations européennes s´est inscrite dans une idéologie des droits de l´homme qui pointe l´ensemble des crimes commis au nom de l´État rouge ou brun, de l´État-nation et des « victoires de la civilisation ».Généreuses dans la dénonciation des crimes du communisme ou du nazisme, ces sociétés occidentales affectent volontiers de croire aujourd´hui que ceux du colonialisme leur ont été cachés. Or cette croyance est un mythe, même si certains des excès commis ont bien été expurgés de la mémoire commune.Ainsi, en France, les manuels scolaires des deux premiers tiers du XXe siècle, relataient avec quel entrain Bugeaud et Saint-Arnaud brûlaient les douars lors de la conquête de l´Algérie, comment aux Indes, lors de la révolte des Cipayes en 1857, des officiers anglais plaçaient des hindous et des musulmans à la bouche des canons, comment Pizarre exécuta Atahulapa Yupanqui, comment Gallieni passait les Malgaches au fil de l´épée. Ces violences étaient connues et, pour l´Algérie, dès l´époque de Tocqueville. Au Tonkin, des témoins ont vu cent fois « des piquets surmontés de têtes, sans arrêt renouvelées », ce que reproduisaient les magazines de la métropole. Le manuel Malet-Isaac, édition 1953, écrivait qu´après la révolte kabyle de 1871, « la répression fut prompte et vigoureuse, avec exécutions, déportation des chefs, lourdes amendes et confiscation des terres ». Le général Lapasset, que cite Charles Ageron en 1972, jugeait dès 1879 que « l´abîme créé entre colons et indigènes serait un jour ou l´autre comblé par des cadavres ».Tous ces faits étaient connus, publics. Mais s´il était avéré que les dénoncer avait pour but de mettre en cause « l´œuvre de la France », leur existence était niée , le gouvernement peut avoir tort, mais mon pays à toujours raison… Intériorisée, cette conviction demeure , elle se nourrit autant de l´autocensure des citoyens que de la censure des autorités. Encore aujourd´hui, par exemple, aucun des films ou émissions de télévision qui « dénoncent » des abus commis aux colonies ne figure parmi les cent productions en tête du box-office ou de l´indice d´écoute. Outre-Atlantique, le retournement concernant l´extermination des Indiens à eu lieu, un type de western succédant à un autre avec la Flèche brisée de Delmer Daves (1950), film pro-indien et antiraciste produit avant les crimes commis par l´aviation américaine pendant la guerre du Vietnam et qu´allait perpétuer le retournement , mais dans la réalité, cette prise de conscience n´a guère modifié la politique de Washington vis-à-vis des « réserves » indiennes. En Australie, la prise de conscience, due à l´action des aborigènes et des juristes est encore plus récente : mais la « majorité démocratique » blanche s´oppose à ce qu´elle soit vraiment suivie d´effets. Ces constatations nécessitent une remise en perspective du rôle des principaux acteurs de l´Histoire, en métropole ou aux colonies, voire des découpages chronologiques que la tradition à institués.
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