Au soir du quatrième jour, un détenu, qui ne parlait plus depuis longtemps, cria soudain: «Farci est là!» Tous les camarades qui pouvaient encore tenir debout s´approchèrent du trou de leur lucarne, le souffle coupé, pour assister au retour de ce petit pigeon, étrange et têtu, qui n´admettait pas que sa place fût avec les vivants, mais voulait revenir avec nous, les morts-vivants. Il allait et venait sur .le grillage, et tentait maladroitement d´entrer. 1/ me regardait pour me demander de l´aide, personne ne pouvait rien faire, mais nous avions tous le cœur serré d´émotion ... Faraj se laissa tomber tout entier dans le trou du grillage et atterrit devant la cellule n° 70, la cellule de son enfance, tellement exténué qu´il échoua plusieurs fois avant de se poser sur la main que je lui tendais. Lorsqu´il y parvint, les détenus les plus proches de ma cellule purent m´entendre pleurer à chaudes larmes. Pendant longtemps les autorités marocaines ont nié l´existence du bagne de Tazmamart situé en plein désert dans le Sud du pays. Pourtant, cinquante-huit officiers et sous-officiers, fantassins ou aviateurs, y furent enfermés pour avoir été impliqués, à leur corps défendent, dans les deux tentatives de coup d´Etat de juillet 1971 (Skhirat) et août 1972 (attaque contre l´avion du roi). Après dix-huit ans de détention dans des conditions inhumaines, quand s´ouvrent les portes de Tazmamart, vingt-huit d´entre eux avaient survécu. Celui qui occupait la cellule 10, Ahmed Marzouki, témoigne au nom de tous, disparus et survivants.
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