«Corps, demeures, villes, pays..., l'homme n'habite le monde des choses qu'en passant, le court espace d'une vie. Aussi, avant que d'être itinéraire, le voyage est utopie, qui retarde l'échéance de l'horizon. Parce que, de tout jardin, le destin l'en chassa, du plus clos l'homme découvre la porte, substituant à la quiétude immobile l'inquiétante étrangeté du partir. Cette nostalgie de l'ailleurs, nul peuple ne la cultivera davantage que le peuple arabe. Pour avoir vu s'évanouir au lointain du désert d'inconsistantes villes, des hommes sillonneront les routes caravanières, reconnaîtront la muraille de Gog et Magog, interrogeront marchands et marins, séjourneront auprès des princes, quêteront auprès des ascètes et des ermites le modèle d'une société idéale, et donc questionneront l'équivoque de l'apparence. De retour en eux-mêmes, ces voyageurs déploieront les routes comme une mémoire, mesurant à sa juste mesure la parole de Muhammad Iqbal : "La réalité est essentiellement esprit." Mais à vouloir anatomiser la terre, ils ne se résigneront pas toujours à la désenchanter ; à une figuration de justesse, ils préféreront parfois dire ce qu'ils ont cru voir. C'est pourquoi la géographie redevable de l'adab cède à la tentation de la merveille et tresse réalité et mémorable. Comme s'ils avaient eu l'intuition que toute image est imaginée, Ibn Fadlan, Ibn Jubayr, Ibn Battûta - et cet autre sans autre identité que ses mots - livrent de l'Orient la première scénographie "orientaliste"». E. Albarranc.
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