Après sa trilogie politique autour des conflits du Moyen-Orient (Les Hirondelles de Kaboul, L´Attentat, Les Sirènes de Bagdad), après un grand roman d´amour (Ce que le jour doit à la nuit), Yasmina Khadra, qui ne craint pas les changements de registre, met toute sa verve romanesque au service d´une fable corrosive qui nous plonge dans l´univers des clochards, plein de tendresse, de cocasserie, de rêves invraisemblables et de terribles déconvenues. Coincée entre une décharge publique et la mer, hors du temps et de toute géographie, l´Olympe des Infortunes est un terrain vague peuplé de vagabonds et de laissés-pour-compte ayant choisi de tourner le dos à la société. Là vivent Ach le Borgne, Junior le Simplet, Mama la Fantomatique, le Pacha, sa cour de soûlards et bien d´autres personnages aussi obscurs qu´attachants. C´est un pays de mirages et de grande solitude où toutes les hontes sont bues comme sont tus les secrets les plus terribles. Ach le Borgne, aussi appelé « le Musicien » parce qu´il sait, en quelques accords de banjo, faire chanter la lune, à pris sous son aile un jeune et naïf va-nu-pieds qui lui voue une admiration sans limites. Auprès de Ach, Junior s´initie à la philosophie des Horr. Le Horr est un clochard volontaire qui à pris le parti de vivre en marge de la ville en rejetant toutes ses valeurs : argent, travail, famille. Refusant jusqu´à la mendicité, le Horr se croit libre de toute attache. Mais lorsqu´une affection, souvent plus profonde qu´il n´y paraît, vient à naître entre les membres de cette communauté d´ivrognes et de bras-cassés, tout détachement s´avère alors bien illusoire. Immoraux, pourrissant dans leur déchéance, les personnages de ce récit n´en sont pas moins sublimes. À travers cette galerie de portraits bigarrés, se dégage une dimension symbolique où l´esprit de solidarité, le sens du compagnonnage qui règnent chez les Horr contrastent avec la violence et l´individualisme de la société moderne. Il fallait tout le talent de conteur de Khadra, et la splendeur imagée de sa langue, pour transformer le prosaïsme rebutant de l´univers des clochards en un monde hautement poétique, où l´onirisme surgit derrière les détritus. On l´aura compris, L´Olympe des infortunes est une métaphore qui dénonce avec force la décadence de notre civilisation. Yasmina Khadra se pose en moraliste de notre temps et le constat qu´il livre n´est pas flatteur : les ames perdues ne sont pas celles que l´on croit. Et l´enfer, lui, n´est jamais où on l´attend.
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