« Tout se passait à distance de moi à travers un mur qui pouvait éclater à chaque instant. Aujourd´hui, il avait éclaté, le mort était tombé par terre, mais je ne l´avais pas vu tomber. Moi, je restais debout, les yeux agrandis, la parole simplifiée: juste quelques mots, le reste était en attente. C´est en France que j´apprendrai le nom des choses que j´avais vues, que je ne savais pas que je voyais, que je n´avais pas pu voir, c´est en France que j´inventerai les souvenirs, une véritable usine à souvenirs, le stock était fait, inépuisable. Ici c´était l´usine à fabriquer des souvenirs de rien, d´Arabes qui n´existaient pas, de nous qui n´existions pas plus, d´une Algérie qui devait rester je ne sais quoi, d´un présent qui devait durer toujours, toute une vie, d´une vie qui était réputée magnifique, de ce qui n´avait jamais été vécu, des souvenirs de là-bas, du petit homme au bord du trottoir, la paume de la main tournée vers le ciel, du silence après le massacre et du souffle régulier du vent en attente du bruit de la vie qui revient avec la douleur. .. » Je croyais que ces temps étaient définitivement révolus. Mais voilà qu´ils réapparaissent sans crier gare. J´ai voulu savoir ce qu´Us furent et je n´ai trouvé que morceaux épars, inentamés comme des pierres. J´aurais voulu montrer qu´il n´en tenait qu´à moi de les faire vivre de nouveau. Mais c´est une autre affaire: les choses ont leur poids qui séjourne dans l´oubli, ce temps sans époque. Jean-Jacques Gonzalès est né à Oran en 1950. Il quitte l´Algérie en 1962. Aujourd´hui, il vit à Paris et enseigne la philosophie.
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