Comme beaucoup d´autres, je tiens Abdelkébir Khatibi pour un des très grands écrivains, poètes et penseurs de langue française de notre temps et je regrette que celui-ci ne soit pas étudié, comme il le mérite, dans les pays de langue anglaise. \. .. \ Je tiens à souligner que cette œuvre, largement reconnue dans le monde francophone et arabophone, est à la fois une immense invention poétique et une puissante réflexion théorique qui, entre tant d´autres thèmes, s´attache à la problématique du bilinguisme ou du biculturalisme. Ce que Khatibi fait de la langue française, ce qu´ il lui donne en y imprimant sa marque, est inséparable de ce qu´il analyse de cette situation, dans ses dimensions linguistiques, certes, mais aussi culturelles, religieuses, anthropologiques, politiques. Particulièrement sensible à sa démarche (notamment mais non seulement en raison de mes origines maghrébines), j´avais essayé de le dire, en marquant ma gratitude et ma proximité, au cours d´un colloque qui nous avait réunis il y à quelques années à la Louisiane State University (colloque organisé par Édouard Glissant et David Wills) et à l´occasion d´autres colloques internationaux. \. .. \ Abdelkébir Khatibi n´est pas seulement un auteur « incontournable », comme on dit, pour qui s´intéresse à la littérature francophone de ce siècle, à cette littérature elle-même, en elle-même et partout où elle déborde, réfléchit et infléchit la culture française, partout où elle témoigne aussi de l´histoire politique, coloniale et postcoloniale, qui lie la France à ses colonies et protectorats de naguère. L´œuvre de Khatibi devrait être aussi « exemplaire », d´autre part, pour quiconque s´intéresse aux problèmes du « multiculturalisme » et de la « post-colonialité », tels qu´ils passionnent aujourd´hui, et à juste titre, tant d´intellectuels, d´universitaires ou de citoyens de toutes origines. JACQUES DERRIDA
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