L´activité des cercles lettrés de Boukhara, de la fin du XVIIIe siècle jusqu´au milieu des années 1920, lut marquée par une exceptionnelle effervescence. Au point que la Noble Cité put servir longtemps de lieu de ralliement de tout ce que l´Asie centrale comptait de musulmans soucieux de renouveau social et intellectuel. Le protectorat russe, établi en 1873, devait entraîner la formation d´une classe de négociants autochtones liés à la culture du coton et de la soie. Cette première bourgeoisie étendit rapidement ses activités au-delà de l´Asie centrale , soucieuse de ses intérêts propres face au capital russe, elle se montra aussi solidaire des mouvements de modernisation et d´émancipation qui parcouraient le monde musulman au tournant des XIXe et XXe siècles. C´est à cette classe qu´appartenait Mîrza Siradj ad-Dîn Hakîm (1877-1914). Négociant boukhariote en soie et coton, il se lança dans des activités commerciales qui l´amenèrent à entreprendre, un beau jour de juin 1902, un long voyage d´affaires et d´agrément en Europe, via Istanbul, Londres, Marseille et Moscou. Less vicissitudes de son commerce devaient ensuite le contraindre à huit années d´incessants déplacements, riches en péripéties, entre l´Iran, divisé par la révolution constitutionnelle, l´Afghanistan des émirs modernisateurs et l´Inde déliquescente des derniers nababs. Le récit de ces voyages est très classique, par des schémas et un ton d´objectivité qu´il emprunte au genre du récit de pèlerinage. Mais c´est dans ce cadre que les Souvenirs de Mîrza Siradj trouvent leur caractère novateur - par un effet de désacralisation de l´espace et de brouillage des frontières entre islam et non-islam - à l´aube d´un siècle qui, vu d´une Asie centrale bientôt livrée au stalinisme, devait se montrer, d´une manière générale, peu amène envers les tentatives d´instauration d´un libéralisme islamique.
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